Une Passpartout chez les fous !

Emmanuelle s’est élancée sur la Diagonale des fous le 17 octobre sur l’île de la Réunion, voici son récit:

Préparée depuis des mois, j’entame la Diagonale des fous avec beaucoup de joie ce jeudi 17 octobre 2024 à 22h ! Seule dans mon sas n°2, l’ambiance de dingue au départ, les encouragements du public sur des dizaines de km et ceux de ma petite famille me font oublier mon appréhension pour le défi de ma vie …L’été austral est bien arrivé, il fait très chaud et humide.

La première nuit se passe bien dans le brouillard et l’humidité. Les chemins ne sont pas trop techniques mais je laisse de l’énergie car nous avons pas mal couru malgré la pente et je me sens un peu nauséeuse. Fabienne me fait un petit coucou avant le domaine Vidot. Je suis raisonnable, je la laisse partir, son allure est trop rapide pour moi, je dois tenir 175 km avec 10500 de D+ dans des sentiers terribles …

Le lever du soleil dans la forêt est superbe et réchauffe le coeur mais j’apprends que ma balise GPS ne fonctionne pas …ce qui est contrariant pour mes suiveurs dont le travail n’est pas simple. Fred me rate d’ailleurs à Nez de boeuf car la route est coupée mais peu importe, le moral est là. Je profite des paysages. Le piton de la Fournaise pointe son nez à travers une mer de nuages teintés de rose. Heureuse de voir mon Fred à Mare à Boue qui sait qu’un petit bout de roquefort va me requinquer ! Il respecte les règles et me dit précisément mon écart avec la barrière horaire. Eric, qui attend Fabienne qui souffre du froid, me félicite pour cette avance et me rappelle qu’elle sera utile pour plus tard (pas faux ! ) . Je suis impressionnée par le nombre de supporters qui ont installés tente, réchaud, sac de couchage , lit, frigo….pour leurs coureurs. A tel point que je confondrai parfois le ravitaillement de coureurs avec celui du grand raid … !

Je repars confiante et sous le soleil. Direction Cilaos avec le côteau Kerveguen ( et non Kergueven ! ) et la fameuse descente du bloc. La montée boueuse, humide, à nouveau dans le brouillard vers le gîte va me sembler interminable… Le sentier est raide, très technique, avec des cailloux et des rochers glissants. Matis et Olivier m’avaient prévenue… mais mon cerveau n’avait pas vraiment imprimé ! Je suis un peu surprise car des idées négatives apparaissent déjà. Ce n’est pas mon genre pourtant 😉 Les petites pensées sur l’abandon se dévoilent car je n’arrive pas à rester dans le moment présent et je pense à tout le chemin qu’il me reste à parcourir….. Je me souviens que ma fille va faire une petite partie avec moi quand j’aurai passé ce fameux Piton ! Je m’accroche sur cette montée qui fait beaucoup de dégâts… La descente que je connais vers le bloc de 1000 de D- se passe plutôt bien (même bien !) mais mon mental n’est toujours pas top top. Je récupère un peu en attendant mes proches en bas du bloc. Direction Cilaos avant la tombée du soleil (ce qui était mon objectif) avec Camille qui ne m’autorise pas, avec finesse (comme toujours ! ) á m’enfermer dans mes idées négatives. La roche merveilleuse, je n’ai rien vu, brouillard, pluie fine… mais les rires reviennent quand je lui raconte que je n’ai jamais vu autant de mecs péter et roter devant moi …C’est peut-être ça qui m’a donné la nausée durant toute la course !

Cilaos : on m’avait dit qu’une nouvelle course commençait…. T’as fait environ 75 km, 3800 de D+ , il reste 100 km et environ 7000 D + , c’est chaud ! Petite douche, repas sans conviction…, les dortoirs sont saturés, les soins aussi , il pleut,… Tu fais des AR …C’est vraiment pas fun …mon chéri et Camille m’improvisent un petit, tout petit repos dans la voiture. Les petits gratouillis de Camille sur ma tête me font rêver pendant 10 min mais je sais qu’il ne faut pas trop s’attarder. On sort les Kway, les lampes pendant que Fred me lit les encouragements des potos via Whatsapp ! Un grand merci, c’est important pour le moral. Camille va m’aider à reprendre doucement cette deuxième nuit en descendant à la cascade avec moi. On s’attendrit sur une jeune fille qui pleure car son copain en avait marre de marcher…Moi, j’ai aussi envie de pleurer car j’ai oublié mon tee-shirt de la course dans les vestiaires à Cilaos… et cette fois, je n’ai pas mon Jean Mi qui pourra me le rapporter…. Je dois finir, il me faut le tee-shirt fisnisher !

Pied du Taibit, vendredi soir ! Je suis mieux, je suis plus positive, je suis prête à laisser mes deux chéris non sans une petite larme pour m’engouffrer dans Mafate. J’adore ce lieu magique, je ne me pose plus de questions. Je suis consciente que je ne ressortirais du cirque que dans une vingtaine d’heures si tout se passe bien. Pour moi, c’est le moment inouï de ce fameux chantier ! Je monte le Taibit doucement et sûrement. Quelques coureurs s’accrochent derrière moi et me félicitent pour ma régularité. C’est idiot mais ça fait du bien au moral ! Ils me largueront évidemment dans la descente , mais j’en profiterai pour écouter le chant bruyant (le coassement ! ) des grenouilles dans la nuit et admirer les lucioles sur les versants de Mafate.

Marla, ce petit îlet si sympathique d’habitude, est très très humide cette nuit. J’essaie de m’installer sous la tente, une bâche en guise de matelas, je suis coincée entre deux coureurs, impossible de dormir. Ça me stresse…je me relève. Je repars direction Plaine des merles. Le terrain me paraît moins difficile, mes jambes sont plutôt bien mais le manque de sommeil m’empêche d’avancer plus vite. Je me fais déjà doubler par les premiers du Bourbon. Je commence alors ma petite expérience de marin … Faire régulièrement des micro-siestes assise sur un rocher, la tête dans les mains. Le problème, c’est que les gens te demandent si ça va et du coup te réveillent ! Plaine des Merles dans la boue …mes problèmes digestifs ne s’arrangent pas mais je me tiens mieux que les mecs 😉 En attendant un lit de camp, je réconforte une coureuse qui veut abandonner. Moi, j’ai basculé dans le mode : je termine, je me suis entraînée fort, je me suis battue pour ma dernière course qualificative, je serai « débarrassée ». Surtout pas l’abandon, il pourrait me prendre l’idée de retenter l’aventure … pas du tout du tout envie …

Après un petit repos de 20 min sur un lit de camp, je repars ma couverture de survie sur les épaules pour Aurère en sachant que je devrais voir le lever du soleil . J’ai des supers souvenirs, notamment Sylvaine, avec son sac plastique de pique-nique à la main, qui comprendra assez vite que Mafate, ce n’est pas le bois de Vincennes ! Ça me motive pour affronter cette longue descente mais aussi la remontée avec ces fichues marches avant l’ïlet.

Pas déçue, le jour se lève sur Aurère et enfin, une superbe vue sur Mafate !!! Je vais pouvoir réellement profiter, non sans avoir en tête cette “petite” montée du Maïdo qui m’attend bientôt… Il fait super bon. Petit dodo de 10 min sur le gazon, quelques petits bouts de fromages avant la descente sur Passerelle d’Oucy. Trop beau, quelques photos, le soleil commence à taper super fort, je prépare la remontée , plus de 2000m de D+ à avaler …
On traverse la rivière des galets, je me rafraichis, je suis les consignes des copains, je change de chaussettes, je me badigeonne les pieds , je bois, je sors la casquette, je lis mes messages, …. Dans ma petite tête, je divise la montée en quatre, chaque partie est l’équivalent de 10 à 12 fois la côte des « Bodin » (pour ceux qui connaissent ;-)) Ça va le faire ! Chaque étape est une petite victoire. La chaleur est si forte de la passerelle à l’îlet des orangers que j’ai désormais droit aux vomitos des gars … Des marches, des marches, encore des marches très hautes !! Dès que je le peux, je vise le petit caillou devant la marche (ça, c’est pour Bastien ! ) et je fais attention à alterner le pied d’appel (mon psoas ne m’aura pas deux fois ! )
De la Brèche , j’entends l’ambiance de dingue à l’arrivée du Maïdo. Savoir que Mahé et Grégoire m’attendent me remplit d’émotions. Comme l’impression d’être un héros, je prends au sommet les applaudissements , les petites phrases encourageantes et personnalisées des supporters, et surtout les câlins de Mahé et Grégoire. Petite pause avec eux. Je vois dans leurs yeux et leur mots l’admiration pour leur tata ! Je prends aussi pour finir cette fichue diag ! Il fait jour, je ne me sens pas trop mal mais je n’arrive toujours pas à manger, ce qui m’inquiète un peu …. Camille m’avait dit que la Sportéïne, c’était du bidon et bien … pour l’effet placébo contre le mal de gorge, c’est pas mal !

Là, dans l’excitation, je me dis « descente de 17km et 1000 de D- , ça va le faire tranquille ». Quelle idée ! Ne jamais penser ça sur la diag !!! Elle m’a fracassée. Je n’en voyais plus le bout, les cuisses dures comme du béton, la nuit qui arrivait….plus de batterie…plus de montre, plus de tel … Bref, c’est long, long, long… J’alterne marche et « trottinage » mais plus marche ! Obligée de ressortir la lampe pour arriver enfin à Ilet Savannah… Quelques jours après, je me rappellerais que j’avais dit à Fred pendant le débrief que je redoutais cette descente ! Manque total de lucidité …! Je relirais aussi sur mon plan que c’était 1900 de D- et non 1000…et que c’était normal de rebrancher la lampe… Comme quoi, le mental …

L’arrivée à Savannah et comment rater sa pause !!! Le kiné, charmant et très bavard, mets beaucoup de temps pour me masser les quadris et me faire deux straps de prévention , la podo me perce mes ampoules et m’injecte de l’éosine. C’est le protocole mais ce sera pire … Je perds un temps fou dans la base de vie : 2h écoulées sans avoir vu le temps passer… et je n’ai pas dormi… Seul point positif, un Gaviscon et enfin, j’arrive à remplir mon estomac avec plaisir !!! Merci Gilles !

Troisième et dernière nuit : je peux compter sur ma petite famille. Camille, Fred et Bastien seront à mes côtés. La pensée de l’abandon n’est plus du tout présente. Je vais faire le job ! Le moral remonte, j’ai décroché totalement du chrono, je sais qu’il ne sera pas ouf mais je suis dans les BH et je veux cette médaille.

3 étapes :

– Chemins Kala et Ratinaud où Fred sera là pour m’aider à m’accrocher aux lianes et escalader les rochers. On se souviendra de quelques moments étranges dont le coureur qui entame un monologue géopolitique sur le conflit en Palestine, suivi d’un cours magistral d’écologie… Tout ça après 3 nuits sans dormir … Envie de prendre le large, on a tenté d’accélérer ! Fred commencera son pèle mêle de photos de siestes de coureurs sur les chemins. Ça nous fait toujours rire !

– Possession- Grande Chaloupe, avec le fameux chemin des Anglais. Camille prendra le relais. Crapahuter dans ce chemin sans avoir dormi deux nuits, c’était déjà compliqué l’année dernière pour le Bourbon alors 3 nuits, vous imaginez… Obligée de réfléchir à chaque pas, perte d’équilibre …mais bonnes parties de rigolades aussi avec certaines scènes : le fameux coureur tout penché, qui saute comme un cabris en défiant les lois de la gravitation mais qui à priori dort les yeux ouverts, celui du tuyau d’arrosage qui croit devenir fou à cause de ses pieds , celui qui hurle dans nos oreilles à cause de ses ampoules , celui qui voit des chiffres sur les pavés …Et moi qui finit par me pencher sur le bord et demande à Camille pourquoi les rochers sont emballés dans des sacs … Finalement, je vous assure, le temps est passé vite ! Le jour se lève juste à la fin de ce sacré chemin. On range les frontales pour toujours !!! Yes !!!!

– Enfin, la montée du Colorado. De jour, elle passera mieux que sur le Bourbon. On profite même de la belle vue. Pas facile car très boueuse mais elle a bien séché (pour une fois, les moins bons sont avantagés ! ) Quelques rubalises dans la forêt se transforment en personnages penchés, assis….qui m‘attendent gentiment. Enfin, la descente. Fred prend le dernier relais . Mes pieds me font désormais terriblement souffrir, mais l’arrivée est proche !! Fred me propose de me lâcher un peu avant la fin du Colorado. J’accepte : besoin d’être seule pour reconnecter ma tête et mon corps avant de terminer cette aventure incroyable. Petits bisous remplis d’émotions. Les larmes de joie , de fatigue, d’accomplissement , de surprise , ont alors coulé….. J’entends des ” bravo, vous pouvez être fière, c’est incroyable ce que vous avez fait, n’oubliez jamais ce que vous avez parcouru, trop forte, bravo Emmanuelle, bravo Madame, admirative, incroyable ! … Ça te permet de réaliser et de sécher tes larmes. Arrivée sous le pont, je me fais interviewer par Patrick Montel.. je suis un peu excitée et confuse…. Et là… je savoure. J’arrive à recourir les derniers mètres devant les supporters, je fais encore un bisou à mon doudou Fred, à mon Bastien toujours aussi sensible et ému, puis à ma grande fille adorée. Je passe la ligne grâce à eux !

La médaille, le maillot, ce seront des souvenirs de cette incroyable tranche de vie, de la préparation pendant des mois à cette course, du soutien de ma petite famille, de mes proches, de mes amis, de mon club adoré les passpartouts. J’ai SURVECU et j’en suis fière !!

Presque 61 h d’efforts ! J’aurais aimé faire mieux … mais la diagonale des fous est vraiment une course particulière. Quelques jours après, je lis dans la presse que sur 373 femmes, 226 ont franchi l’arche de la Redoute et je suis 148ème : je trouve ça plutôt bien ! Place maintenant au repos mental et physique et à des projets beaucoup beaucoup plus censés avec les copains et la famille !

S’abonner
Notification pour
guest

0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
facebook
instagram